La gouvernance des contenus en ligne [in French]

La Radio Télévision Suisse (RTS) a demandé récemment mon avis suite à la suppression d’une de leurs vidéos sur/par YouTube. Comme c’était mon premier entretien télévisé, je me suis préparée (“sur-préparée”, d’après l’équipe, que je remercie d’ailleurs de leur encadrement patient) avec quelques notes sur le sujet.

Screenshot 19h30 RTS Anna Jobin

Après plusieurs prises et montage, j’ai fini par avoir mes 15 secondes de gloire au téléjournal de 19h30, ce qui est évidemment trop peu pour rendre compte de la complexité des enjeux. C’est pourquoi je partage ci-dessous quelques paragraphes issus de mes notes.

Dans mes activités de recherche j’ai rencontré trois problématiques principales qui me semblent importantes par rapport à ce sujet:

La gouvernance privée d’un bien public

Premièrement, il faut reconnnaître que la supression d’une émission journalistique par une plateforme en ligne n’est pas qu’un enjeu juridique. Sous le seul angle légal, il semble logique qu’une entreprise privée puisse agir d’après ses propres termes et conditions. Cependant, l’enjeu est égalemenet social, culturel, et même démocratique. Car la déliberation est un élément constitutif du fonctionnement démocratique, et les bonnes conditions-cadres de la déliberations sont donc un bien public. Or, nos échanges d’information, la communication, le journalisme, nos interactions sociales etc. se passent de plus en plus également en ligne. Pour ce faire, nous sommes tributaires d’intermédiaires, et beaucoup d’entre eux sont des entreprises privée avec comme seul objectif d’être lucratives. Elles fonctionnent donc un peu comme un espace public, ou semi-public, elles font circuler l’information, ou servent comme source d’informations, à l’instar du journalisme “traditionnel” — alors qu’elles n’ont aucune responsabilité publique, ou un modèle de gouvernance à la hauteur de leur importance dans nos vies.

La gouvernance dans un monde globalisé

Deuxièmement, il ne faut pas oublier que ces entreprises ont un siège principal précis, d’où elles agissent à titre international. Et même si elles ont des représentants en dehors de la Sillicon Valley, la manière dont fonctionnent ces plateformes à la base, et les décisions clés, émanent d’un contexte qui est loin des contextes locaux dans lesquels se déroulent nos vies. Il ne surprend donc pas que la gouvernance de ces plateformes ne reflèt pas forcément nos valeurs locales, mais importe plutôt une vision sociale et culturelle, et même légale, venue d’ailleurs. Elle s’oriente, notamment, considérablement au contexte américain, bien qu’il y ait eu des efforts de tenir compte des lois nationales, notamment en ce qui concerne le domaine de la publicité.

Mais voilà: le contexte local n’est pas pris en compte dans l’ensemble de ses spécificités. Il se voit trop souvent réduit à un problème juridique, auquel il suffit de trouver la solution technologique, alors que la réalité est plus complexe.

La gouvernance algorithmique

Troisièmement, la gouvernance des plateformes se fait en grande partie de manière automatisée. D’un côté cla se comprend en vue de l’échelle. D’un autre côté, à chaque fois que la vie humaine est soumise à des règles algorithmiques, on écrase les nuances. Des règles trop strictes sont incompatibles avec les nombreuses ambiguitës que nous rencontrons tous les jours, c’est pourquoi même notre idéal de la jurisprudence vise à prendre en compte les circonstances précises de chaque cas.

Qui plus est, les règles qui se retrouvent inscrites dans ces systèmes algorithmiques on été établies de manière unilatérale et non pas par un système démocratique qui aspire au bien commun.

Pour aller plus loin

Dans le domaine de la recherche, beaucoup de spécialistes se préoccuppent de ces questions depuis longtemps, et de manière approfondie. En anglais, une excellente liste compilée par Tarleton Gillespie(*) du Social Media Collective de Microsoft Research, par exemple, rassemble un grand nombre de livres et d’articles au sujet de la modération des contenus en ligne que je vous conseille vivement.

 

(*) Et bien qu’il ne se trouve pas sur la liste sus-mentionnée, pour comprendre le contexte actuel de la gouvernance (par) des technologies numériques je vous recommande également le premier livre de l’auteur de la liste: Wired Shut.

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