Exceptionally, this article is in French. English speaking readers might want to head over to Technology, innovation and society: five myths debunked.
Cet article esquisse mon intervention dans un module de formation EMBA / CAS il y a quelques jours. Le but était de sensibiliser les participants aux enjeux des technologies de l’information comme sources d’innovations majeures et de les rendre attentifs à quelques enjeux sociaux des TIC. Afin qu’un tour d’horizon aussi vaste soit un tant soit peu digeste, j’ai décidé de le présenter en cinq chapitres qui démontent certaines idées reçues à propos du numérique:
- Il est possible d’ignorer le numérique
- Le progrès technologique est linéaire
- La connectivité est un acquis
- Il y a le virtuel et il y a la “vraie vie”
- Les “big data”: la solution à tout
En voici ci-dessous la présentation, et ensuite quelques phrases explicatives avec liens/références.
La présentation:
Idée reçue no. 1: Il est possible d’ignorer le numérique
Le domaine du numérique est souvent considéré uniquement dans une perspective communication/marketing, une perspective parfois réduite aux seuls sujets des sites web et des réseaux sociaux en ligne. Et alors qu’il est possible pour une entreprise notamment de se passer d’une page facebook en toute cohérence avec sa stratégie, il n’en est pas de même avec la dynamique et l’évolution numérique au sens large. Ce parce que la révolution numérique ne concerne de loin pas que les “social media”. Elle comprend toute sorte d’automatisation algorithmique. Une citation parlante à ce sujet a été dit par C.P. Snow en 1961 déjà et je l’avais reprise dans un billet précédent (en anglais) il y a deux ans et demi:
«Those who don’t understand algorithms, can’t understand how the decisions are made.»
Illustrant quelques enjeux d’automatisation algorithmique, j’ai mentionné le “champignon informationnel” de Frédéric Kaplan, mes explorations de Google Autocomplete, et les calculs de la “probabilité de remplaçabilité” d’un emploi (provenant d’un working paper scientifique, transformés en visualisation interactive) grâce aux avancées dans les domaines du machine learning et de la robotique mobile.
Idée reçue no. 2: Le progrès technologique est linéaire
Pour ce point, une petite plongée dans la sociologie de la connaissance et de la technologie:
partir depuis le Denkstil, passer par le paradigme scientifique et le paradigme technologique, pour arriver à la distinction des innovations incrémentales vs. innovations radicales (cf. Freeman et Perez), illustrée à merveille par ce propos, attribué à Henry Ford:
« Si j’avais demandé aux gens ce qu’ils voulaient, ils m’auraient répondu des chevaux plus rapides. »
Et rappeler qu’une innovation technologique est indissociable d’un contexte social spécifique. J’ai parlé du chatbot ELIZA, de la réception de son script DOCTOR et de l’évolution de notre conception de l’intelligence – humaine et “artificielle” – et j’aurais également pu (ou plutôt: j’aurais dû!) parler de l’expression “glasshole”, de sa génèse et de ses enjeux…
Idée reçue no. 3: La connectivité est un acquis
Les technologies permettant l’échange d’information numérique à distance n’ont pas cessé d’évoluer ces dernières décennies, et il y a de fortes chances qu’elles continuent à changer. Certaines transformations ont déjà été bien entamées et se manifestent p.ex. par la “ségrégation” de certaines parties du web (“walled gardens”), le succès des applications mobiles natives et la commercialisation de certaines TLDs (domaines du premier niveau). Alors que nous sommes tentés d’ignorer l’infrastructure sur laquelle repose notre capacité de nous connecter, les événements actuels nous invitent à la regarder de plus près. Pourquoi ne pas commencer par comprendre le principe de la “neutralité du net” (expression attribué à Tim Wu, dont je vous recommande, par ailleurs, l’excellent The Master Switch) et de ses enjeux, réfléchir au-delà de ce principe, et imaginer un futur avec intégration verticale totale (attention: jeu de mot!) …
Idée reçue no. 4: Il y a le virtuel et il y a la “vraie vie”
En août de l’année dernière, une vidéo virale intitulée I Forgot My Phone montrait la triste journée d’une femme sans son téléphone portable se sentant seule car les gens qui l’entourent (son compagnon, ses amis, des étrangers dans la rue etc.) ne cessent d’utiliser le leur. Le message sous-jacent? Une culpabilisation fondée sur la départition entre le partage “réel”, sans smartphone, et l’isolation derrière un écran. La vidéo Look up, plus récente que I forgot my phone, véhicule ce message technophobe encore plus explicitement: il y aurait la virtualité, isolante, d’un côté et la réalité, sociale, de l’autre… Le sociologue Nathan Jurgenson a appellé cette opposition “dualisme numérique“. Et dans son manifeste contre ce fétiche de la vraie vie (repris en partie et traduit en français ici) il insiste:
Il est faux de dire que IRL (ndlr: “in real life”, i.e. “dans la vraie vie”) signifie hors ligne : Facebook est le monde réel !
Que ce monde numérique fasse partie de notre monde réel n’exclut évidemment pas qu’il y ait des spécificités. Et tout comme nos modes d’interactions hors ligne diffèrent selon les contextes, les interactions en ligne en dépendent également. (Pour mieux comprendre les différents contextes et leur propriétés, lire p.ex. Marwick et boyd à propos du “context collapse”.)
Idée reçue no. 5: Les “big data”: la solution à tout
Je tiens à préciser que ce point ne s’attaque pas aux “big data” per se, mais à quelques croyances naïves y associées,
- Les données ne parlent pas pour elles-mêmes
- Le pouvoir des modèles (de prédiction) est limité
- Le risque de discrimination ou stigmatisation est réel
- Même anonymisées, les données sont parfois “re-identifiantes”
Post Scriptum:
La structure en chapitres “idées reçues” a été inspirée par Antonio Casilli. Le contenu de ces chapitres résulte d’une approche globale à ces phénomènes, issue de mon parcours interdisciplinaire en sociologie, économie politique et informatique (/de gestion). Aujourd’hui très utile, ce choix de domaines m’obligeait, au début de mes études, à me justifier constamment vu que ces domaines “n’ont rien à voir l’un avec l’autre”. C’était pourtant il n’y a pas si longtemps… Ah oui, et sans transition, pour pas me faire reprocher un manque de confiance, je spécifie être ouverte à toute autre invitation de partage autour de ces thématiques.
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